Vol 1 -Osny, village de mon enfance (Souvenirs, Alexis Rosoff)
Table des matières
OSNY : Note descriptive et historique
La vie religieuse de la communauté russe
1946 -1949 : l ’école à Osny puis à Paris
1949 -1955 : La vie au 18 rue d’Odessa à Paris
1960-62 1er job à la CGE, Stage à Ramsgate,
1962-1963 : le Service Militaire et la guerre d’Algérie
1968 : « mai 68 » et visite à Paris de la sœur de papa, la tante (Tetia) Natacha
1969 OSNY : ON RECONSTRUIT LA MAISON, une nouvelle ère se prépare
1965 – 1970 le village de mon enfance devient « le village d’enfance de mes enfants »
Mais c’est l’objet d’une autre histoire !
FIN DU DOCUMENT « OSNY, Village de mon enfance»
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Osny, village de mon enfance (Souvenirs, Alexis Rosoff)
A mes enfants et petits-enfants…
Je suis né le 13 juillet 1937 et j’ai aujourd’hui 84 ans. Mon état de santé m’a obligé de quitter mon appartement d de Maisons-Alfort pour un studio dans une « Résidence Senior » à Chatou, près la maison de mon fils. Pour moi le nom d’une ville nouvelle près de Pontoise, « Osny », est synonyme de « village de mon enfance » car j’y ai vécu toutes les années entières jusqu’à l’âge de 10-12 ans et au moins 2 à 3 mois par an jusqu’à l’âge de 18 ans, au 133 (maintenant 34), Avenue de la Muette. Plus tard j’y suis revenu très souvent jusqu’à la reconstruction de la maison en 1970. Alors naquit ma fille Marina, la maison de mon enfance devint la maison d’enfance de mes enfants et Osny devint pour moi « le village d’enfance de mes enfants ».
Je sais que Mes souvenirs et Mon récit ne correspondent pas toujours à ce qui s’est passé en réalité, et qu’ils sont parfois différents ou meme en contradiction avec les souvenirs de ma sœur Natacha ou d’autres personnes. Dans un certain nombre de cas je n’ai pas corrigé Mon récit, car je pense que chacun peut voir et ressentir ou interpréter le passé à sa façon !
Mais, avant de parler du village de mon enfance, je me suis intéressé à l’histoire du village et j’ai rédigé une petite note descriptive et historique grâce aux informations trouvées dans Wikipédia.
Osny [oni] est une commune du Val-d'Oise, région Île-de-France, située sur la rivière appelée la Viosne et qui se jette dans l’Oise à Pontoise. Osny est un des lieux peints par Camille Pissarro qui y vécut en 1883 et 1884 et représenta la commune dans au moins soixante-dix-huit toiles, et quelques autres peintres impressionnistes ou postimpressionnistes tels Paul Gauguin puis Alexandre-René Véron et William Thornley.
Village du Vexin français, Osny est entourée de Pontoise à l'est, Cergy au sud, Puiseux-Pontoise et Boissy-l’Aillerie à l'ouest, Génicourt et Ennery au nord ; la commune a connu une importante poussée démographique à partir des années 1970 consécutive à son incorporation dans la ville nouvelle de Cergy-Pontoise.. Osny possède le territoire le plus étendu de l'agglomération de Cergy-Pontoise ; cela lui permet de conserver une activité agricole encore importante malgré son urbanisation rapide, et il existe encore aujourd'hui de très vastes champs sur le territoire de la commune. La partie rurale est encore présente avec le hameau d'Immarmont,
Au XIXe siècle, Osny était un petit village comptant une centaine de maisons, en 1936 il y avait 1152 habitants, en 2018 Osny comptait près de 17 000 habitants concentrés surtout autour du vieux village (rue Aristide-Briand, ancienne route de Paris à Rouen, aujourd’hui remplacée par l’A15.
Osny est traversée par la ligne de chemin de fer Paris Saint-Lazare - Pontoise - Gisors, au trafic assez modéré. Sous la domination romaine, Osny jouissait de sa position sur une voie de passage important, la chaussée Jules César, qui traversait le sud-est du village. La présence romaine favorisa la culture de la vigne en exploitant les coteaux orientés vers le sud et vers l'est.
Lors du siège de Paris, durant la guerre franco-allemande de 1870 Osny est occupée par les troupes allemandes
La Seconde Guerre mondiale vit l'occupation allemande d'Osny peu après l'armistice du 22 juin 1940. Madame de Grouchy, propriétaire du château d'Osny, déposa alors plainte pour pillage de la demeure. Pendant cette guerre, la ville connut deux bombardements (l'un toucha le quartier de la Groue et l'autre Immarmont) ; les dégâts matériels furent importants.
Osny conserve un patrimoine historique assez remarquable, et parmi les monuments historiques situés dans la commune on peut citer :
-l’église Saint-Pierre-aux-Liens dont une partie provient d'une première église romane de la fin du XIe siècle,
-le château de Grouchy, actuelle mairie, construit au XVIIIe, qui trouve vraisemblablement ses origines au Xe siècle,
- la colonne de Réal Dite aussi pyramide des Lameth, qui est en réalité un obélisque érigé par Charles-Malo de Lameth en l'honneur de ses neveux n, morts en jeune âge lors des guerres napoléoniennes34 et qui se trouve tout près du quartier de la Muette dont on parlera plus loin,
- le Château de Busagny, actuel collège Saint-Stanislas, qui remonte au début du XVIIe siècle et dont l'édifice actuel date de l'époque du Directoire
-ce et enfin le Moulin d'Ars, dont la roue à aubes de la fin du XVIIe siècle qui a été remise en état de fonctionnement par l'actuel propriétaire. Le moulin a laissé son nom à un quartier d'Osny, devenu Moulinars puis Moulinard adjacent au quartier de la Muette.
Dans les années 1936, le propriétaire du Château de Grouchy a décidé de créer un lotissement dans un domaine, qui dit-on était un ancien domaine de chasse et qui est devenu le quartier de la Muette.
Mon père et mon oncle sont venus de Saint-Pétersbourg (1915), ont vécu en Russie la guerre avec les Allemands, puis la révolution russe et l’exode des armées russes jusqu’à la destination finale de la Marine Impériale Russe à Bizerte en Tunisie. De là ils sont partis en France pour à nettoyer les traces des tranchées de la guerre et se sont installés à Paris. Cette odyssée racontée par « les carnets de bord » publiés sous le titre « Un officier russe dans la tourmente révolutionnaire » du blog de Paul Loukine « La Marine Impériale Russe » https://loukine.fr/ . L’histoire de la famille ROSOFF , et celle de mon père Fédor Petrovitch ROSOFF est en partie racontée dans un enregistrement vocal rédigé et publié sous le titre « Mes chers enfants » que vous pouvez voir sur le site consacré à ma famille https://meschersenfants.jimdofree.com/
Quant à ma mère, Olga Ado, fille d’un directeur de chemins de fer russes, elle quitta la Russie en chemin de fer pour la Serbie, où elle étudia au lycée russe de Zagreb , puis vint en train à Paris avec sa mère, Marie Ado et sa cousine Catherine Tolmachev , voir « Généalogie des familles Rosoff- Tatarinoff-Tolmachev-Markow» et aussi « Généalogie des Rosoff depuis 1746 »que vous pouvez voir en cliquant
voir aussi la page babouchka
https://fr.calameo.com/accounts/2208645
Donc, dans les années 35-36, mon père Fédor Petrovitch Rosoff et sa femme couturière, Olga Nikolaevna Ado, émigrés russes, entendent parler de bouche-à-oreille, ou par des journaux russes, de parcelles de terrain à vendre à prix raisonnable ce qui permettrait de se construire une « datcha ».
Ils achètent une parcelle de terrain à Osny, dans le domaine de la Muette divisé en parcelles vendues par le propriétaire du Château de Grouchy ; il s’agissait de parcelles viabilisées, c'est-à-dire avec l’eau courante, mais sans électricité ni tout-à-l’égout, sur lesquelles on pouvait se construire (à l’époque sans permis) une maisonnette, pour y venir jardiner le dimanche , et éventuellement y vivre à longueur d’année, si nécessaire ( et cela devînt nécessaire, plus tard, au temps de la guerre et de l’Occupation de la France par les Allemands). La parcelle achetée porte le numéro 133 de l’avenue de la Muette, avenue qui n’était en fait qu’une route tracée dans un terrain qui était boisé du côté de cette parcelle et en friche de l’autre côté.
Il y eut ainsi 40 à 60 (je crois) familles russes qui achetèrent des parcelles, certaines pour y venir jardiner le week-end, d’autres pour construire un cabanon qui devint après maisonnette de week-end puis maison pour y vivre à l’année. Il y avait même une maison avec un étage construit par un certain Monsieur Kostritzky, le père d’Olga Kostritzky qui était la marraine de ma sœur Natacha. Plus tard Olga devint catholique et même religieuse dans un monastère, (je suppose) et cela fit du bruit dans la communauté orthodoxe. Dès le début de la guerre, avec l’évacuation de Paris, de nombreux russes vinrent s’installer à Osny à demeure, et comme mon père, ils allaient à pied à la gare la plus proche, à environ 2km, celle d’Osny, pour aller travailler à Pontoise, à Conflans ou à Paris
Une partie du lotissement était en friche avec des champs qu’on pouvait cultiver. Il y eu ainsi plusieurs petites « fermettes » qui s’organisèrent pour de se procurer de quoi se nourrir avec des légumes et du lait. Les autorités de Vichy imposaient dans ces cas-là l’obligation à chacun de fournir au village certain quota de sa production de lait, de beurre ou de légumes, et quand les vaches donnaient une quantité de lait insuffisante par rapport aux quotas, nous étions obligés de couper le lait avec de l’eau.
Pendant une partie de la guerre, et au-delà pendant les vacances, mon cousin Ivan Markow vivait avec nous à Osny.
De la guerre, j’ai quelques souvenirs dans la tête pour la période 1943 (j’avais cinq ans) et la période 1945 (j’avais huit ans) : par exemple, un jour on entendit le grondement des vagues de bombardiers passant de nuit au-dessus de nous pour aller bombarder Paris en suivant les lucioles lumineuses laissées dans le ciel par des avions éclaireurs pour baliser le chemin. Cela dura toute la nuit et plus tard on sut que c’était le bombardement de l’usine de Renault à Paris. Les lumières étaient des feux de Bengale accrochés à des petits parachutes.
Je me souviens aussi des bombardements, mentionnés plus haut dans la note, de l’aérodrome factice d’Imarmont, de l’autre côté de la vallée à environ 2 km. Papa avait creusé une tranchée à côté de la maison, qu’on recouvrait d’une tôle pour servir d’abri : je me souviens que l’abri me paraissait énorme, et aussi du bruit de quelques éclat de bombes tous chauds qui, un jour, sont tombées à côté de la maison.
Un certain nombre de bombes perdues était tombées dans les champs autour de nous, laissant des grands cratères. Le lendemain toute la population du village était réquisitionnée avec des pelles pour aller reconstruire les baraquements factices de l’aérodrome. Et deux jours après les Anglais revenaient bombarder de nouveau les baraquements factices reconstruits.
Je me souviens aussi d’une bataille aérienne au-dessus de nos têtes et des douilles que les enfants du coin ramassaient le lendemain dans les champs. Encore une image floue : dans le train un soldat allemand m’a offert un bonbon que maman a dit tout bas dans l’oreille de refuser car il était empoisonné !
Je me souviens aussi qu’un jour, j’étais dans un champ où papa était en train de faucher l’herbe, on entendit le bruit d’un canon de DCA et d’un avion qui tirait avec sa mitrailleuse. Papa me mit sous la brouette pour nous protéger des éventuels éclats d’obus. Les avions anglais bombardaient Immarmont qui était l’aérodrome de Pontoise, en face de chez nous de l’autre côté de la vallée. Des avions volaient de tous les côtés et des douilles de mitrailleuse tombaient dans les champs tandis que des bombes perdues qui tombaient dans les champs faisant des grands cratères.
Je me souviens aussi qu’un jour, j’étais sur la route regardant les bottes de paille dans le grand champ de Thomassin au bout de la route : tout d’un coup, les bottes se sont mises à bouger car, en réalité, c’étaient des soldats anglais qui venaient libérer le village et qui se mirent à tirer sur les silhouettes qu’on voyait sur le terrain d’Imarmont, de l’autre côté de la vallée. Et papa me prit par la main et se mis à courir avec moi vers la maison pour se protéger dans l’abri et aussi pour se changer, car il avait un habit que, de loin, on pouvait prendre pour un uniforme. Et puis des tanks était venus devant notre porte.
Puis on sortit dans la rue : à la porte un tank tirait à la mitrailleuse sur des petits points qui courraient dans l’aérodrome. Les soldats, américains ou anglais, je ne sais pas, donnaient des chewing-gums et des cigarettes. C’était en juillet 1944 et j’avais huit ans.
Dans cette petite colonie russe, il y avait eu successivement deux chapelles installées dans des appentis. La seconde était dans la maison du père Stefanovich. Mes parents étaient très croyants : je me souviens, j’allais avec eux dans ces chapelles où mon père chantait dans le chœur composé de deux ou trois personnes.
Ayant réussi à trouver des documents décrivant l’histoire des « Rosoff » et en essayant de tracer l’arbre généalogique, je me suis aperçu qu’on pouvait remonter jusqu’à 1764, l’époque de la grande impératrice Catherine. Je découvris ainsi que toute la lignée des «Rosoff » depuis cette époque était une lignée de prêtres orthodoxes qui prenaient la succession les uns des autres jusqu’à l’avant-dernier de la lignée, mon grand-père, qui avait choisi la carrière d’Officier et qui devint ensuite Haut Fonctionnaire. Ses fils Fédia et Yvan finirent dans l’immigration, respectivement ouvrier électricien et chauffeur de taxi. Mais par un chemin que seul l’histoire connaît, mon oncle Yvan Rosoff (Diadia Vania) repris la tradition et choisit de devenir prêtre orthodoxe (désigné ci-après Père Jean), tout en continuant son métier de chauffeur de taxi.
Avec l’aide de mon père et de quelques paroissiens, Ivan (le père Jean) construisit à la Muette une vraie petite église russe, sur un terrain qui avait été donné par Galina Pavlovna Nikonova. C’était une femme russe, qui possédait plusieurs parcelles avec son frère et qui vivait comme une vraie paysanne russe du siècle dernier, vêtue d’une robe de bure et marchant pieds nus toute l’année. Elle vivait avec ses animaux, plusieurs vaches et même un vieux cheval, sauvé de l’abattoir pour traîner une charrue ou une carriole.
G.P. Nikonova était très croyante, du type « starovère » c’est-à-dire une secte intégriste n’admettant pas le moindre petit changement dans les textes et la conduite des services religieux. Plus tard, il y eut de nombreux sujets de discorde entre G.P. Nikonova et le père Jean Rosoff qui voulait raccourcir un peu la longueur de service et supprimer certaines lectures de textes qui duraient des heures. Au temps des chapelles dans les maisons, il me semble qu’il y avait à peu près 10 à 20 paroissiens les jours de fête et les dimanches. Avec la nouvelle église le nombre augmenta légèrement pendant un moment seulement, car il y avait peu de jeunes et beaucoup d’anciens étaient décédés.
Pour illustrer cette partie de la narration de la vie religieuse, je ne dispose que de quelques photos : les voilà dans le désordre, car, sauf exception, aucun des originaux n’est daté.
Évidemment ce récit est fait sur la base de mes souvenirs personnels nécessairement fragmentaires, vus par les yeux d’un enfant.
Après la Libération, la scolarisation devenait obligatoire, et je crois que c’était une condition sine qua non pour obtenir des cartes d’alimentation. Il a donc fallu aller à l’école à Osny.
1945 : à Osny, sous la garde d’un « grand » de 13 ans, Nicolas Diakoff, Je faisais, quatre fois par jour le trajet de 2,2 kms, de de la Muette jusqu’à l’école qui se trouvait au centre du village, dans une petite construction derrière l’église. L’école des petits ne comportait qu’une classe unique, avec trois niveaux et une seule maîtresse. Au début je ne connaissais pas un seul mot de la langue française mais à cet âge on apprend très vite et je me débrouillais comme je pouvais.
Au milieu de la salle, il y avait un grand poêle à charbon. À gauche étaient les tous petits, à droite les moyens. La classe des grands (certificat d’études) étaient au rez-de-chaussée de la petite mairie, sur la place en face de l’église. Pour supprimer les taches d’encre , on nettoyait la table à la paille de fer, puis on passait la table à la cire.
Un jour je suis tombé un pied dans les « chiottes » qui étaient dans la cour de récréation. La maîtresse m’a dit d’aller me nettoyer dans la classe des grands à la mairie, seul endroit où il y avait un point d’eau : en entrant dans cette classe, j’étais complètement perdu parmi les enfants et je demandais « mais où est Nicolas Diakoff ?». Je ne parlais pas bien en français et tout le monde rigolait. Ensuite, pendant quelque temps, j’ai eu droit à un sobriquet « mais où est Nicolas » !
Le village était un village de fermiers, il y avait deux épiciers, un café tabac, une pharmacie, la poste était dans la mairie, et il y avait des étables dans presque chaque maison. La rue était mal pavée et il fallait faire attention de ne pas marcher dans les excréments des chevaux et des vaches.
Je me rappelle que plus tard on allait parfois au cinéma à Osny. 4 km à pied, aller-retour, parfois le soir. Pendant l’entracte, dans la salle à coté, qui était un café, on buvait un petit verre de Marie Brizard.
L’école était trop loin de la Muette et en 1947 mon père louera une maison dans le quartier de la Groue, du côté du Château de Grouchy, tout près de l’école et de la gare.
Pendant une autre année, 1948, nous sommes revenus à Paris, au 18 de la rue d’Odessa, pour me permettre d’aller à l’école paroissiale de Saint-Sulpice. C’était affreux. J’étais un souffre-douleur, « sale russe », « sale orthodoxe » !
Deux fois par semaine on nous amenait à l’église Saint-Sulpice. Avant chaque cours il y avait la prière et on pratiquait à cette époque les coups de règle sur les doigts. Maman devait venir me chercher à la porte de l’école pour me protéger des gosses qui me harcelaient et qui m’attendaient à la sortie pour me taper à coups de cartable.
En 1949 j’allais au lycée Montaigne, en 6ème puis 5ème en 1950, 4ème en 1951, en 3ème en 1952 et en 1953 je me suis trouvé en seconde au lycée Louis le Grand. J’allais au lycée en autobus (bus numéro 58 à plateforme à l’arrière) et plus tard à bicyclette.
À partir de cette époque Osny n’était plus le centre de ma vie, on y allait en week-end et pour les vacances, une partie au moins de l’été j’allais en colonie de vacances russes des Vitiaz à la Napoule sur le bord de la Méditerranée ou à Laffrey, dans les Alpes, le reste de l’été se passait à Osny.
Natacha allait à l’école communale de la rue Delambre et plus tard au Lycée Fénelon. Elle avait une bonne copine qui s’appelait Ilinca. Cette gamine était très gentille et habitait rue Bonaparte.
Ma mémoire a occulté presque que tous les souvenirs positifs et exagère peut-être les aspects sombres de ma vie d’alors.
Dans la partie claire je me souviens que chaque semaine maman m’amenait au cinéma « CINEAC » de la gare Montparnasse où ce n’était pas cher et où étaient projetés des films d’actualité suivis de court-métrages du type « Tarzan ». Mon père et ma mère n’allaient jamais au cinéma ni au théâtre ni au théâtre mais parfois on recevait des invitations de l’ambassade soviétique pour des célébration au cours desquelles après un discours de l’ambassadeur on projetait des films artistiques et ou patriotiques : je me souviens d’avoir vu l’opéra « Boris Godounov » ainsi que d’autres opéra et aussi, peut-être, Ivan le Terrible, film qui, à l’époque était déjà autorisé ou pas encore interdit par Staline. Dimanche venait chez nous ma marraine, Tetia Léna Gorïaïnova, que ma mère avait connu en Serbie, elle aussi travaillait comme couturière, et son mari, Nikolaï Ismaïlovitch Kiréev était ingénieur ; ils avaient eu des ennuis avec les autorités parce que au début de la guerre leur fils avait déserté pour aller en Espagne et aussi parce que M. Kiréev avait travaillé pendant la guerre dans une société allemande; on voyait aussi Anna Iakovleva Lewish, qui était une vieille amie juive qui travaillait comme couturière mais pour des théâtres. Son mari Dimitri Mikhaïlovitch était ingénieur et parlait en allemand. Pendant la guerre il avait été interné à Drancy mais il a échappé aux camps de concentration pendant l’Occupation. Nous recevions aussi la visite d’un vieil homme, Vassili Mikhaïlovitch, qui ne parlait pas un seul mot de français et qui vivait dans une maison de retraite française. Pour lui la visite mensuelle chez nous était le seul point de lumière dans la vie. Mes parents ainsi avaient une vie sociale typique chez les Russes : dimanche nous allions à l’église à la rue Pétel, l’aller en métro, le retour souvent à pied, et c’est là-bas que j’allais à "l’école de jeudi" « tchetvergovaya shkola (четверговая школа) » pour suivre des leçons de langue russe et du catéchisme orthodoxe.
Ma sœur avait beaucoup de camarades qui habitaient autour de nous et qui l’invitaient chez elles car elles avaient de l’espace. Nous, vu l’exiguïté de notre appartement, ne nous ne pouvions que rarement inviter des camarades d’école !
Pour ce qui me concerne, je n’avais pratiquement pas d’amis parmi mes camarades et aucune vie sociale, essentiellement à cause du fait que tous mes camarades de lycée était issu de la bourgeoisie des 5ème et 6èmes arrondissements alors que j’étais le seul fils d’ouvrier, à l’exception d’un fils de boucher qui a dû arrêter les études à la troisième pour travailler à la boucherie. Même chez lui, (un jour m’avait invité à l’appartement de ses parents à la Porte d’Orléans), je n’étais pas à l’aise car j’étais sans cesse un objet de curiosité pour les parents qui m’interrogeaient constamment sur l’origine de mes parents, la vie qu’ils avaient eu avant la Révolution Russe etc. Donc je partais le matin au lycée et je revenais le soir, sans inviter des camarades, pour faire les devoirs quand je pouvais le faire dans l’appartement, et, plus tard, à la bibliothèque sainte Geneviève qui se trouvait à côté du lycée Louis le Grand.
Nous avions aussi une certaine activité chez les Vitiaz et les « RSKhD », (en russe РСХД) (en français ACER : association chrétienne des étudiants russes), non seulement dans les camps pendant les vacances scolaires mais aussi pendant beaucoup de week-ends de l’année. Ce qui nous a permis de compléter notre éducation en langue russe, en morale traditionnelle russe et en matière de religion orthodoxe.
Les activités avec les Vitiaz nous apportaient tous ce que le scoutisme peut apporter aux jeunes : l’apprentissage de la vie en communauté, le sport et les activités culturelles et religieuses. Le Vitiaz avaient cependant une coloration très politique, ultra-nationaliste russe, et ils essayaient de nous inculquer des opinions contraires à qu’on entendait à la maison où l’ambiance était beaucoup plus libérale et où nous parlions de la Russie contemporaine plutôt avec des termes bienveillants. On nous parlait énormément de la nécessité de combattre le bolchevisme partout où il était, « pour la Religion » et aussi « pour la Patrie » et « Pour le Tsar » c’est-à-dire pour la restauration de la Russie. Quand j’avais environ 16 ans, c’était à peu près l’époque de la guerre d’Indochine et de la guerre de Corée, ils nous incitaient à nous engager dans ce combat dès que nous atteindrons l’âge. L’autre aspect, à mon avis négatif, des Vitiaz était l’éducation religieuse plutôt rigoriste qu’ils prêchaient et qui me choquait. C’est par réaction à tout cela que, vers 16 ans, j’ai commencé à perdre la Foi, à m’éloigner de la religion et à fréquenter de moins en moins les russes émigrés qui me paraissaient englués dans leurs souvenirs et qui ne comprenaient pas que l’idée de la restauration de l’ancien régime en Russie était totalement irréaliste.
Ma vie à l’époque de la rue d’Odessa, (de 1949 jusqu’à vers 1955) pourrait être résumée par deux sentiments, le sentiment de malaise d’être pauvre par rapport à mes amis et camarades et le sentiment d’inconfort dû à la difficulté de vivre la promiscuité dans un appartement exigu.
La vie était dure pour ma mère qui faisait de la couture mon père qui travaillait comme ouvrier électricien. Plus je fouille dans ma mémoire, plus je me rends compte que je n’ai pratiquement pas de souvenir d’enfance de mon père. Il n’était jamais là. Juste quelques photos. Le jour il travaillait pour un patron, puis il passait par la maison le soir pour manger et repartait pour travailler pour son compte chez des particuliers, et rentrer tard, la nuit.
A une certaine époque mon père était très fatigué et très nerveux notamment à cause d’un ulcère à l’estomac. Je me rappelle qu’il avait de nombreuses disputes le soir avec maman, presque toujours axées sur des questions d’argent. Je ne pouvais pas supporter ces cris et j’étais obligé d’arrêter les disputes en allant dans la cuisine et en criant d’arrêter : étrangement ma sœur ne se souvient pas de ses épisodes, car chez elle la mémoire avait probablement occulté ce genre de souvenirs.
D’après mes souvenirs la vie au 18 de la rue d’Odessa pourrait être résumée comme suit : nous vivions au 4ème étage sans ascenseur, et il n’y avait qu’une seule chambre d’une vingtaine de m2, un petit cagibi et une cuisine sans confort, avec juste le gaz et un évier muni d’un robinet d’eau froide et une table pour manger à quatre. Quand j’étais tout petit, maman et moi dormions à deux, tête-bêche, dans un grand lit. Plus tard, maman eut son lit et moi et Natacha avaient chacun le nôtre, tandis que papa avait son lit dans le cagibi de 2x1.5m. Les WC étaient sur le palier partagé avec 3 appartements voisins. Il n’y avait pas de salle d’eau et la toilette de Natacha se faisait dans une bassine qu’on remplissait d’eau chauffée avec le réchaud à gaz. En ce qui me concerne, j’allais chaque semaine, avec papa aux Bains–Douches municipaux, au bout de la rue, entre le cinéma et un « marchand de Couleurs ». Il n’y avait pas de place au rez-de-chaussée pour garer la bicyclette et la protéger des voleurs : chaque soir il me fallait donc monter la bicyclette pour l’attacher au mur sur le palier du quatrième étage.
En plus de la literie et d’une table, il y avait la machine à coudre car ma mère faisait de la couture dans la journée et le soir. Elle travaillait pour des couturiers qui fournissaient le tissu déjà découpé et les « patrons », que j’allais chercher chez le couturier, dans une rue à côté des Folies Bergères pas loin du métro Bonne Nouvelle. Après avoir cousu les costumes et les avoirs repassés, ma mère me les donnait pour que je les rapporte chez le couturier, pour revenir avec un nouveau travail à faire. Au début j’y allais en métro ou en autobus, plus tard à bicyclette.
Tout cela fait qu’il n’y avait pas ou peu de place à la maison pour faire les devoirs d’école et recevoir des camarades, et à partir de la seconde au lycée Louis le Grand, j’allais travailler à la bibliothèque sainte Geneviève où je retrouvais beaucoup d’amis.
Et ce fut ainsi jusqu’à presque mes 18 ans !
La Favière : Fin 1956 je décrochais enfin le Bac (Mathématiques). À partir de l’année 1956, pour gagner un peu d’argent et aider financièrement les parents, j’avais pris l’habitude d’aller travailler, pendant au moins un mois chaque année jusqu’à 1964, dans un camp de vacances « La Colline » à la Favières, tout près de la plage du Lavandou, tenu et fréquenté par des Russes. Je travaillais à la plonge et aussi pour le service à table. J’étais très ami avec le patron Georges de Plagny qui m’y amenait de Paris dans sa vielle Hotchkiss. J’y avais plusieurs fois organisé des sorties en mer en louant un bateau, « un pointu » à un pêcheur, pour aller jusqu’à Port-Cros. Une fois, je suis sorti en mer alors que le mauvais temps était prévu pour l’après-midi. J’étais complètement inconscient du danger et pendant que je barrais le bateau les passagers ont été obligés pendant tout le retour d’écoper l’eau qui passait par-dessus le bord. (Voir plus loin une photo prise par beau temps). D’autres fois nous avions loué le bateau avec le pêcheur qui nous amenait sur la plage de Port-Cros et y faisait une bouillabaisse, après quoi, complètement souls, nous allions dormir à l’abri des tamaris. Il y avait là-bas une ambiance absolument extraordinaire : le matin on allait à la plage, à midi, on prenait l’apéritif au café à l’air libre tenu par Obolensky, l'après-midi, on jouait aux échecs ou au ping-pong, le soir, on buvait et on chantait, et après on allait prendre le bain de minuit dans la mer. Récemment un ami m’a recommandé de regarder sur YouTube des clips de Christine Brakhausen « La Colline Russe » concernant la période 68 à 78 (Youtube) montrant comment on passait les soirées là-bas. Cet ami m’a aussi recommandé de lire un livre « la Colline Russe » de Yan de Kerorguen, paru en 1979 chez Grasset, dans lequel la vie à la Colline est décrite en détail, et dont la première moitié raconte d’une manière très agréable et complète histoire de l’immigration russe
Natacha aussi est allée à la Favière avec moi, et même plus tard, elle y est revenue avec son mari Alain et sa fille Anne. Yvan aussi y est allé pour un mois. Jusqu’en 1962 j’allais la Favière pour travailler et gagner de l’argent ; plus tard, à partir de 1965, j’y suis revenu deux ou trois fois, mais en qualité de client payant et c’est là-bas que j’ai connu, en 1967, B. que j’ai épousé en 1969. Après avoir vu les clips sur YouTube, et parcouru le livre, je regrette beaucoup a posteriori de ne pas avoir continué à fréquenter la « Colline » avec ma famille.
En 1957 j’avais quitté la rue d’Odessa pour la résidence universitaire d’Antony pour aller vivre seul comme un adulte. N’ayant pas osé suivre la filière des concours aux Grandes Écoles, j’avais choisis la Sorbonne, filière dans laquelle je pouvais sans risque de m’arrêter à tout moment et avoir tout de suite du travail. Fin 57, je décrochais le CES de mathématiques générales, en 58 le CES d’Optique, en 59 les CES de, de Thermodynamique et de Mécanique Physique et le CES d’électricité et en 1960 le CES de Techniques Mathématiques de la Physique, ce qui me donnait la Licence ès Sciences qui me permettait de postuler des postes de cadre et d’ingénieur. Ensuite pendant deux ans, 1961 et 1962 j’ai suivi les cours du troisième cycle de Physique du Solide : j’étais un étudiant plutôt moyen et je commençais à atteindre mes limites, car les cours commençaient à être réellement difficiles et la concurrence rude avec les étudiants sélectionnés, parmi lesquels beaucoup avaient déjà un diplôme d’ingénieur d’une Grande École. Finalement je ne me suis pas présenté aux examens, et sans être vraiment étudiant, je m’inscrivais à la fac pour continuer à bénéficier du sursis pour le Service Militaire et pour profiter encore pendant un ou deux ans, de la chambre à Antony, et des séjours dans la maison de repos des étudiants en Combloux.
En 1956 je suis allé faire du ski à Serre Chevalier : c’est la première fois qu'Yvan et moi, sommes partis quelque part ensemble autrement qu’avec des Vitiaz ou des Sokols.
Parlant de la cité Universitaire je repense à ma mère et à mon père.
Dans mon souvenir ma mère fut, douce et sévère, juste ce qu’il faut, aimante, consolatrice, éducatrice, bref une mère idéale. Elle joua indirectement un grand rôle dans ma vie : elle m’inculqua une morale basée sur le courage et l’honnêteté, que j’ai toujours tenté de suivre. Elle y glissa cependant quelques graines de ce que je juge maintenant pernicieuses dans certains de leurs effets : la notion du péché, et une image de la Femme, que je devais vénérer, protéger et respecter comme mère de mes enfants futurs ou présents, et avec qui faire l’amour en dehors ou avant le mariage était un péché. Mais elle m’inculqua aussi la notion de la responsabilité de chacun envers ceux avec qui on partageait la vie.
Ce dernier aspect de la morale fut très ancré en moi, au point d’influer très fort sur ma conduite, et notamment retarder si longtemps la rupture avec ma femme.
Je me rappelle ce jour, où, venant un matin me rendre visite à l’improviste à la cité Universitaire d’Antony, elle me trouva au lit avec une fille ; elle repartit et me dit plus tard qu’elle avait été choquée, qu’elle ne me croyait pas être comme cela ! Maintenant je pense que ce n’était pas une question de morale, mais la réaction d’une mère, découvrant que son enfant était devenu adulte et rencontrant pour la première fois celle qu’elle prit pour une rivale dans le cœur de son enfant. Car ma mère, quoiqu'étant très à cheval sur la Religion et la Morale, savait être libérale avec les autres.
La santé de ma mère était très fragile avec de nombreux séjours à l’hôpital. En oct. 1962 elle fit un infarctus et fut hospitalisée à Boucicaut. Je m’en souviens comme d’hier, du 13 octobre 1962 : c’était, je crois, un dimanche et je devais lui rendre visite l’après-midi. Par paresse, je n’y suis pas allé. Et ce fut cette nuit qu’elle décéda sans voir une dernière fois son fils.
Ce n’est qu’après le décès de ma mère que je commençais à fréquenter un peu mon père. Il vivait avec son frère, prêtre orthodoxe et chauffeur de taxi. Moi j’habitais à la cité universitaire et Natacha aussi.
Je n’ai presque jamais parlé avec mon père de sa jeunesse, de la révolution et de la guerre. En fait la vie de mon père ne m’intéressait pas beaucoup.
Ce fut très différent pour ma sœur Natacha qui pendant des années l’hébergea dans un petit studio tout près de chez elle, et qui s’occupa de lui jusqu’à sa mort. Elle le voyait tous les jours, parlait avec lui, et recueillais ses pensées sur tout, et notamment à mon sujet. Je visitais mon père rarement, je ne lui téléphonais que du Bureau et lors de mes rares visites j’évitais de parler de ma vie : nos échanges étaient plus que limités. Ce n’est que beaucoup plus tard, en 2004, que j’ai commencé à m’intéresser à la vie de mon père, lorsque je travaillais sur les carnets de l’oncle et surtout sur le document dicté par mon père quelque semaines avant sa mort à l’âge de 100 ans, où il racontait l’histoire de la famille et l’histoire de sa première enfance. Pour pérenniser ces documents, j’avais posté l’enregistrement sonore et la transcription du texte de mon père sur le Web, sur les plates-formes Soundcloud, Jimdo et Calameo.
Mais je suis loin d’avoir connu mon père, comme ce fut le cas ma sœur qui a pris soin de mon père pendant des années avec un remarquable dévouement. Beaucoup de ce que je pense, et que j’écris, au sujet de mon père, est probablement erroné. En tout cas, même si mon père fut dans ma jeunesse un père absent, je sais que dans sa vieillesse, je fus un fils ingrat qui n’a pas rendu à son père ce qu’il lui devait pour avoir tant travaillé pour assurer à Natacha et moi, l’éducation, l’instruction et une vie plus heureuse que ne l’a été la sienne
En 1961, ce fut la grande aventure, avec l’exposition française à Moscou (août 1961), qui m’a appris beaucoup sur beaucoup de choses. Ce fut passionnant de découvrir le pays de mes ancêtres dont on a tant entendu parler ; grâce au fait que je parlais russe pratiquement sans accent, je pus parler avec beaucoup de Soviétiques, ce qui m’a permis de me rendre compte de ce que c’était le communisme en Russie.
C’est là que je fis connaissance d’une collègue, Marie-Laure, une fille, qui était beaucoup plus âgée que moi, qui travaillait à Montrouge dans un laboratoire militaire sur la traduction automatique du russe, avec qui je « sortis » plus d’un an : nous la verrons plus loin en photo.
Je travaillais comme interprète sur le stand des Relations Publiques du Syndicat Général des Industries Électriques (SGIE). Ma sœur Natacha avait réussi à trouver une place sur le stand d’une autre société. J’avais beaucoup de contacts avec les visiteurs soviétiques. Un jour, dans les toilettes de l’hôtel, je fus accosté par un collègue français qui me dit qu’il faisait partie de Services de Renseignements français, comme beaucoup d’autres parmi le personnel de l’exposition, et qu’il avait entendu dire par ses collègues que j’étais surveillé par les SR français parce que je parlais trop franchement avec les Soviétiques et que je ne m’en méfiais pas assez. En effet, à partir de ce moment, je remarquais que j’étais souvent accosté par les Soviétiques qui disaient au cours de la conversation, par exemple, qu’ils travaillaient dans une usine militaire à côté de telle ville : en me donnant ce genre d’information, c'était un moyen pour m’appâter et m’utiliser ensuite pour faire de moi un « indicateur » ou un « agent double ».
Plus tard, je rencontrais des étudiants soviétiques à la faculté d’Orsay qui m’avaient fait des propositions douteuses, par exemple d’écrire, contre rétribution, des articles scientifiques pour des revues russes. Ça aussi, c'était un moyen classique pour recruter des agents. Cela, je l’appris par la suite, pendant le Service Militaire. Je travaillais en effet au Deuxième Bureau où on m’avait enseigné beaucoup de choses au sujet de l’espionnage et des problèmes qu’il y avait de fréquenter de soviétiques.
Au temps de Khrouchtchev les portes commençaient à peine à s’ouvrir et il y eut beaucoup de contacts des Soviétiques avec l’étranger : l’Exposition française fut la première exposition étrangère à Moscou, après une exposition anglaise l’année précédente, et tous les services d’espionnage et de surveillance était alors sur le qui-vive tant du côté français que du côté soviétique.
J’ai eu quelques ennuis avec la police (pas la police politique). Là-bas, j’avais une voiture de location et j’ai eu un accident avec un cyclomoteur qui m’avait coupé la route à un croisement : sur le moment je croyais avoir tué le cyclomotoriste et j’ai passé 24 heures au poste dans un triste état mental sans avoir de nouvelles du blessé. Je fus relâché, mais avec mon passeport confisqué. J’appris plus tard qu’on avait trouvé dans la poche du blessé une bouteille de vodka cassée, qu’il avait survécu, non sans m’avoir accusé d’être en tort grâce à l’aide de faux témoins qui se sont présentés immédiatement après l’accident. Je fus disculpé par la suite, mais sur le moment je contactais l’ambassade de France pour demander de l’aide : là-bas on m’a dit « mon pauvre Monsieur, nous ne pouvons rien faire pour vous, mais vous risquez de rester un bon moment Moscou dans le cas où il y aura un procès ». J’étais écœuré et je n’avais pas le moral. En fait mon passeport me fut rendu au bout de quelques semaines.
À l’occasion de cette exposition à Moscou, papa et maman avait réussi à obtenir un visa pour leur pays d’origine, pour voir ses sœurs Natacha et Macha, pour la première fois depuis la Révolution. On a même réussi à revoir mon parrain Kolia Takhtaroff, qui était rentré en Russie quelques années plus tôt, et qu’on avait envoyé au fin fond du Caucase après avoir confisqué tous ses biens.
Papa et maman revinrent ensuite plusieurs fois en Russie notamment en 1961. En 1968, c'est la sœur de papa, Natacha, qui réussit à venir en France.
Moscou aout 1961 Natacha, moi et une fille soviétique Tamara
Ayant gagné de l’argent à la Colline Russe, je me décidais à faire un cadeau à mes parents et leur ai acheté une table avec des fauteuils en châtaignier, que je fis livrer à Osny. C’était la première fois dans ma vie que je vis un achat d’un meuble dans la famille, et pour moi, c'était très important, car cet achat a été ressenti comme une entrée dans le monde des adultes et qui travaillent et gagnent de l’argent. Pour mes parents, ce fut une surprise très appréciée.
Grâce aux relations que je me suis faites à l’exposition de Moscou, j’ai réussi en septembre 1960 à trouver un stage d’ingénieur à la Compagnie Générale d’Électricité (CGE) : c’était au Service Brevet, pour un travail qui consistait à rédiger des brevets et faire des recherches d’antériorités. C’était quelque chose de très nouveau, ce travail m’a plu, et en 1961 on m’a proposé un poste fixe, mais tant que je n’ai pas effectué le service militaire, je ne pouvais pas être titularisé. J’ai négocié dur pour le salaire et j’ai obtenu le chiffre de 1500 FR. par mois, ce qui était vraiment important pour un débutant. En plus, on m’a promis un prêt de 500 FR. par mois pendant mon service militaire, remboursable en quelques années, à condition que je m’engage à revenir à la CGE et y rester pour au moins trois ans.
Au printemps 1962, j’ai obtenu que la société m’envoie en Angleterre, tous frais payés, pour trois mois, afin de me « perfectionner en anglais », mais en réalité « pour apprendre » la langue anglaise. C’était une école installée dans un hôtel à Ramsgate, située sur les falaises à côté de Douvres. Ce fut un stage passionnant où j’ai connu beaucoup d’amis. À mon retour vers juillet, je retrouvais mon bureau à la CGE. En octobre 62 je suis appelé à l’armée pour y effectuer le service militaire.
Ma génération fut celle de la guerre d’Algérie. Cette guerre commença en 1954, j’avais 18 ans, et finit en 1962 – 63 (j’avais alors 25 – 26 ans). Cette guerre a tenu une grande place dans ma vie ainsi que dans celle des garçons qui avaient mon âge.
Il faut que mes enfants et petits-enfants en sachent plus sur cette guerre : je leur recommande de consulter Wikipédia sur le Web. Pendant toute cette guerre, ma génération a vécu et en a souffert, directement ou indirectement.
Comme on le verra plus loin, je n’ai pas fait la guerre, mais mon beau-frère, Alain Moutot, le mari de Natacha, qui était « pied-noir »,( terme qui désignait à l’époque , par extension, les Français d'ascendance européenne installés en Afrique française du Nord ), né et vivant en Algérie, y effectua son service militaire pendant 24 mois au début de la guerre d’Algérie. Plus tard, avec ses parents, il va venir vivre dans la métropole.
Cette guerre qui commença comme une opération de maintien de l’ordre, ne fut pas une Guerre Nationale mais une Guerre Civile, fratricide et coloniale.
Plus d’un million de jeunes y furent appelés, pour des périodes allant jusqu’à 2 ans ou plus en ce qui concerne les rappelés (33 mois). Selon certains historiens, 10 à 12 000 appelés du contingent sont morts. Dans l’armée active, sur 300 000 soldats et officiers qui participèrent à la guerre, 10 à 12 000 ont perdu la vie.
En Algérie la population a beaucoup souffert. Sur un total d’environ 10 millions de personnes, colons français, français d’origine métropolitaine ou espagnole ou italienne ou juive et français maghrébins d’origine arabe ou berbère, la population perdit, selon certains historiens, quelque 300 000 morts, civiles ou militaires. Je ne sais pas si ces chiffres comprennent les massacres de milliers de personnes et notamment de 50 000 « harkis » (Algériens de souche, qui combattirent comme supplétifs dans l’armée française), qui eurent lieu après l’indépendance
Dans la vie de tous les jours, les étudiants et les jeunes de mon âge furent souvent témoins, notamment dans le Quartier latin, d’ostracismes et d’exactions policières dont furent victimes les jeunes d’origine maghrébine, ou simplement ceux qui avaient la peau « bronzée ». La presse était censurée. Pour les étudiants, les sources d’information étaient le bouche-à-oreille et des publications telles que Libération, l’Express et Témoignage chrétien, et aussi le Canard enchaîné, ainsi que la presse clandestine du FLN (Front National de libération) ou communiste ou chrétienne d’opposants à la guerre. Très tôt, on a su ce qui se passait en réalité non seulement en Algérie, mais aussi en métropole : les exactions, les exécutions sommaires et la torture y furent « monnaie courante », pratiqués des deux côtés. Ne fréquentant que les étudiants à cette époque, je n’ai pas eu beaucoup de confidences de ceux qui n’eurent la chance d’avoir un sursis et qui revinrent de la guerre plus ou moins traumatisés.
Au lendemain de ce que l’on appelle aujourd’hui « le massacre du 17 octobre 1961 des Algériens à Paris », les Parisiens au moins ne furent dupes des communiqués officiels qui chiffraient les morts à 3 ou 4. En réalité, il y a eu entre 50 et 200 manifestants algériens, tués par la police dans les rues, par balle ou par matraque, ou jetés vivants dans la Seine.
À mon avis, mis à part quelques personnalités telles que le préfet de police de Paris Maurice Papon, le socialiste Guy Mollet et certains ministres, la classe politique dans son ensemble a été coupable par son silence ou sa compromission. Ce fut une « sale guerre », qui pour certains futs « une guerre Nationale pour l’Algérie Française », et pour d’autres « la guerre de Libération Nationale »
Certains jeunes de mon milieu, notamment les étudiants, pensaient que résister à l’incorporation était un devoir. Pour d’autres, aller en Algérie était un devoir, particulièrement pour certains chrétiens, ne serait-ce que pour résister à la folie meurtrière et témoigner par l’exemple. J’étais, comme la plupart de mes camarades étudiants, opposé à la guerre d’Algérie, mais je balançais entre ces deux approches, car mon éducation plaçait très haut la notion du Devoir envers la France qui était ma patrie, mais il faut le dire, tout cela était quelque peu théorique.
Malgré tout, comme tant d’autres, j’épuisais autant que possible, mes droits aux sursis d’incorporation et finalement il me fallut aller effectuer le Service Militaire. Je partis donc, en novembre 1962, faire mes « classes » en Allemagne à Lahr, dans la forêt au niveau de Strasbourg. Là aussi je découvris un Nouveau Monde, se trouvant mélangé avec des jeunes recrues alsaciennes de 18-20 ans, qui sortaient la première fois de leur maison et dont certains étaient illettrés, et des garçons plus âgés comme moi, ayant plus ou moins fini leurs études. Nous étions encadrés par des sous-officiers qui pour la plupart étaient mutés là par mesure disciplinaire après le choc des putschs (mai 58 ou mai 61 ?). Après trois mois de vie assez sportive dans la Forêt-Noire en qualité de soldat, ce qui m’a fait un grand bien, car je n’avais pratiqué aucun sport depuis le lycée, je réussis le concours des Élèves Officiers de Réserve de l’armée de l’air (EOR) et on m’envoya en Normandie pour un séjour de trois mois à la base aérienne de Caen, pour y faire un stage dit « d’état-major ».
C’était déjà l’époque de la fin de la guerre d’Algérie (les accords d’Évian furent signés en mars 1962 et l’indépendance de l’Algérie fut reconnue en juillet 62) mais pendant mon service, on ne savait rien sur l’activité militaire en Algérie. Même maintenant les articles sur Internet ne sont pas clairs et je pense que l’activité militaire ne s’arrêta en fait que vers la fin 1963. J’ai trouvé certains articles qui précisent qu’entre juillet 1962 et la fin 1963 il y eut quelques dizaines ou centaines de soldats d’active et d’appelé tués en service.
À la fin du stage, qui fut aussi musclé sur le plan sportif, je réussis l’examen de sortie d’une manière honorable (je crois 83e sur 200) et je fus affecté comme EOR puis sous-lieutenant de réserve au Ministère de l’Armée de l’Air, place Balard. Cette affectation était liée à ma connaissance du russe. Je travaillais au Deuxième Bureau et mon travail consistait à exploiter les renseignements fournis par la DGSE sous forme de fiches anonymes dans lesquels des observateurs ou des espions donnaient des renseignements concernant la défense antiaérienne de l’armée soviétique. Mon travail consistait à évaluer les chances que nos Mirages, armés de bombes nucléaires, avaient d’atteindre leur but, par exemple Moscou. Au début, j’avais pris mon travail d’officier au sérieux, puis j’ai eu des difficultés avec le chef de la section, un Commandant qui était un sale type, qui abusait de son grade pour harceler ses subordonnés et plus particulièrement les PFAA (PFAA : Personnel Féminin de l’Armée de l’Air). Un jour le conflit larvé avec lui atteint son paroxysme. Il m’avait ordonné de rédiger un rapport selon lequel au moins x % de nos Mirages pouvaient atteindre le but. C’était complètement faux et je refusais de faire son rapport qui était destiné à appuyer les demandes de l’armée au moment du vote du budget par le Parlement. J’ai eu avec le Commandant une discussion violente au cours de laquelle il perdit son sang-froid et me gifla. C’était une faute très grave pour un Officier ; j’allais voir le médecin militaire pour déposer plainte et dire qu’il m’était impossible de continuer à travailler avec ce Commandant. Le médecin militaire refusa bien entendu de mettre dans son rapport que le Commandant avait frappé un subordonné et me prescrivit un arrêt de travail pour des raisons médicales. Depuis ce jour j’étais dispensé de service, sauf les jours de garde, et j’étais censé rester dans la chambre que j’avais au ministère. En réalité je n’en fis rien et, au lieu de mon bureau militaire, j’allais retrouver mon bureau civil et mon travail à la CGE.
En pratique, depuis le début, je n’utilisais pas ma chambre au ministère, car j’avais réussi à occuper une chambre à la résidence universitaire d’Antony. Grâce à mon scooter, chaque soir après le service au ministère ou le travail à la CGE, je retrouvais là-bas mes amis étudiants et ma sœur.
Je fus libéré en été 1963 pour me retrouver à plein temps au bureau de la CGE, rue de La Boétie, et partir en octobre 1963 pour les États-Unis.
Pendant toute la période du service militaire, j’avais la chance d’avoir gardé une partie mon salaire civil, sous forme d’un prêt remboursable sur plusieurs années. Cet argent, qui s’ajouta à Paris à ma solde de sous-lieutenant a fait que par rapport à mes amis militaires ou étudiants, je vivais alors comme un roi. Cela me permit d’acheter une voiture pour remplacer le scooter.
Grâce au stage en Angleterre, je parlais et écrivais à peu près en anglais, et à mon retour du service militaire, en septembre 1963 j’ai obtenu d’être envoyé aux États-Unis pour travailler pendant un an dans un cabinet d’avocats en brevets. Ce fut une aventure encore plus passionnante que le voyage en Russie : je partis à bord du « France » pour une traversée de cinq jours, ce qui était une aventure en soi, et je me suis trouvé en Amérique, un Monde Nouveau qui était extraordinaire à mes yeux, où tout était nouveau et différent. J’ai eu par contre quelques difficultés à m’habituer à la mentalité américaine qui n’avait rien à voir avec la mentalité en France.
Les services de contre-espionnage existaient aux USA aussi bien qu’en URSS, car j’ai remarqué qu’aux USA il y avait aussi une surveillance policière : j’étais parfois suivi par des voitures qui se remplaçaient les unes par les autres, comme à Moscou où j’étais constamment suivi par des voitures de police politique. À la différence de Moscou, aux États-Unis c’était très discret tandis qu’à Moscou la surveillance était grossière et provocatrice. Aussi, de nombreuses fois à l’occasion de soirées organisées par des amis, j’étais, comme par hasard, accosté par des officiers de la Marine US en civil, qui, sous le prétexte qu’ils apprenaient le russe dans le cadre de l’armée, cherchaient le contact avec moi.
J’ai quand même eu la chance d’être autorisé à suivre des cours au « US Patent Office Academy » qui formait les examinateurs de brevets à l’Office des Brevets. Là j’ai obtenu un Certificat me permettant l’accès au Patent Office, comme si j’étais un Avocat en Brevets américain, pour défendre oralement les dossiers des demandes de brevets en cours de ma société, la CGE.
Plus tard, l’existence de ce document m’a beaucoup aidé dans ma carrière, notamment pour entrer, en qualité de Chef du Service de la Propriété Industrielle, à la Compagnie des Compteurs qui était possédée par la société américaine Schlumberger.
Aux USA j’avais un salaire de seulement 500 $ par mois cela semblait peu, le $ valant alors 1 FR, mais c’était plus que confortable dans un pays où tout était ou semblait, moins cher qu’en Europe. Très rapidement je pus acheter une voiture, ce qui aux États-Unis était absolument nécessaire, ainsi que des divers équipements du type magnétophone, tourne-disque et amplificateur, qui en ces temps, coûtaient « les yeux de la tête » en Europe
Au retour, en septembre 64, quand papa avait réussi, par une amie, à me faire obtenir un studio dans un immeuble tout neuf de l’ensemble Maine-Montparnasse, j’étais si habitué au mode de vie américain, que je fus très surpris de ne pas pouvoir obtenir le téléphone dans la semaine de l’emménagement, comme cela avait été aux USA. Il a fallu un moment pour me réhabituer au mode de vie et au niveau de vie française.
En 1964, quand Natacha fut enceinte et allait se marier avec Alain Moutot contre la volonté de ses parents, juifs croyants traditionnels, mon père venait me reprocher de ne pas avoir protégé ma sœur comme j’aurais dû quand elle était étudiante à la résidence universitaire d’Antony. Je me souviens du mariage qui eut lieu à la résidence universitaire d’Antony et qui fut très joyeux malgré l’absence des parents d’Alain. Natacha et Alain avaient obtenu un appartement de (jeunes mariés) à la résidence, et bientôt en fêta l’arrivée de la petite Anne Moutot.
Je ne me souviens pas beaucoup des événements de mai 68. Je n’étais plus étudiant, mais jeune ingénieur travaillant dans une société conservatrice qui regardait avec mépris les débordements des jeunes. Le soir, après le bureau, j’allais me promener au Quartier latin en évitant autant que possible d’être pris dans une charge de police qui démolissait les barricades. J’étais de tout cœur avec les étudiants qui occupaient la Sorbonne, mais cela ne me touchait qu’indirectement. Mon problème était de me procurer de l’essence pour aller au bureau en voiture. J’ai même fait une fois un aller-retour source en Belgique dans ce but.
La visite à Paris de la tante Natacha fut pour nous un grand événement, car ce n’était pas encore évident, à l’époque, que des citoyens soviétiques aillent à l’étranger. Elle fut accueillie en France au Havre où elle vint en bateau de croisière « Nadejda Kroupskaïa » et repartit par le navire « Estonia ».
Au retour des États-Unis je m’installais dans un studio de la tour Maine Montparnasse. J’y ai vécu en célibataire jusqu’à fin 1967. Ensuite on s’est mis en couple avec Bernadette, et dans les années 67 et 68 on passait à Osny presque tous les week-ends et une bonne partie de l’été, pour la reconstruction de la maison de mon enfance. En été 1969 Bernadette fut enceinte et on se maria le 8 novembre 1969.
En 1970 je fus muté au laboratoire de Marcoussis et on habita dans un appartement à Saint Michel sur Orge. Le 15 avril 1970 naquit Marina, et en 1971 on s’installa dans la maison reconstruite à Osny. À partir de ce moment la maison ne fut plus la « maison de mon enfance » mais devint « la maison d’enfance de mes enfants »
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